J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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lundi 7 novembre 2011

#75: Van Morrison "It's Too Late To Stop Now"

Après avoir inventé un incunable du rock'n'roll, Gloria, avec les Them, Van Morrison sortira un tube terriblement efficace, Brown Eyed Girl. Largement de quoi suffire pour miser sur le bourrin, lui prédire une carrière en or. Avec un sens inné de la mélodie, de la chanson parfaite, Van Morrison ne pouvait qu'intéresser l'industrie du disque, ou plutôt l'industrie du 45 Tours. Warner a donc logiquement signé l'Irlandais et lui a laissé carte blanche.

Il en sortira Astral Weeks, album intemporel, insaisissable, mélange de jazz et de folk, dans de longues mélopées bouleversantes mais inclassables. Sans le moindre tube. Qu'importe, se dit Warner, la veine folk était encore vivace au début des années 1970.

Alors Van Morrison sortit Moondance, avec le morceau éponyme très teinté de jazz, le reste étant plus électrique mais toujours aussi introspectif (And It Stoned Me, au hasard).

Puis Van Morrison sortira des albums très cuivrés, dont le Saint Dominic's Preview teinté big band, avec un hommage appuyé à Jackie Wilson. Jackie qui ? Alors que le monde du rock virait hard à droite et prog à gauche, les Stones ayant un mal fou à garder le cap, Van Morrison sortait des albums hors-norme, et surtout hors mode. Euh, Mr Morrison, et si... enfin... comment dire... vous écriviez quelque chose de plus... ? De plus quoi ? Je fais ce que je veux. Let me be. Fuck off. Oui Mr Morrison, d'accord.

D'accord, parce que dans la tourmente des années 1970, Van Morrison était le seul à avancer contre vents et marées - ce que son caractère d'irlandais (too much celtic blood) lui permettait sans doute facilement - et continuait ainsi, bon an mal an, sinon à atteindre des sommets de gloire, du moins à voir son public grandir régulièrement, tel un paysan fier de son champ de blé, dont il sait qu'il ne tirera pas plus que ce que la terre peut offrir, mais gérant son petit lopin de gloire en bon père de famille. Avec honnêteté, avec le savoir-faire dont il disposait, sans chercher à aucun moment l'esbroufe rémunératrice avant la retraite dorée platine. Juste un job, fait avec talent et honnêteté.

Les journalistes vous diront qu'il a un caractère de cochon. Mais n'ayant nul besoin d'eux pour donner un petit coup de pouce à son prochain album orienté disco parce que la mode le veut, les journalistes confondent mépris et liberté. Le syndrome "je me suis fait tout seul" cher aux protestants de Belfast ? Peut-être.

En contemplant sa discographie, ou plutôt, allons-y, son oeuvre, on y distingue un parcours encore plus intègre que celui d'un Dylan, car presque jamais auto-suffisant, contrairement à certains albums du Zim franchement merdeux (Empire Burlesque, au hasard - mais le titre est bien choisi, c'est déjà ça). Van Morrison a survécu aux années 80 (et nous a aidé à les supporter) avec des albums plus léchés, un peu jazzy variétoche, mais la musique n'était là que comme écrin pour une voix semblable à nulle autre (Common One, au hasard, No Guru No Method No Teacher assurément), des albums qu'on emmènerait bien sur une île déserte s'il y avait un bar ouvert tard la nuit...

Je vous accorde que c'est un peu moins vrai ces cinq-dix dernières années, et encore. C'est peut-être parce qu'un Dylan a su reprendre du poil de la bête et briller à nouveau de mille feux qu'on regrette la constance d'un Van Morrison ?

Enfin, donc, dans ce cochon de Van Morrison, tout est bon. Alors lequel choisir ?

It's Too Late To Stop Now, défintivement (enfin, ce soir, demain j'aurais pu prendre Tupelo Honey). Car voilà un live, enregistré en pleine période glam pré-punk (1974), où l'animal se produit avec force cuivres, cordes (The Caledonia Soul Orchestra), piano, un guitariste tellement heureux de ne pas jouer du rock façon power chords qu'il brille de mille feux dans ses interventions discrètes mais essentielles. Alternant ballades jazzy, morceaux plus enlevés (façon rythm'n'blues, hein, ceci n'est pas du rock, jamais...), Van The Man stupéfie tranquillement son auditoire dans une montée en puissance jusqu'au paroxysme que constituent Caravan et Cyprus Avenue. Oui, il joue Gloria, vite fait, et pas du tout façon garage rock. Non. Gloria redevient le morceau de rythm'n'blues qu'Otis Redding aurait pu (du ?) chanter. 4'15. Voyez, ceci ne représente presque rien dans mon répertoire. A l'écoute de l'album, on y croit à peine, mais il n'y a aucun overdub, d'aucune sorte. What you hear is what you get. Encore une claque dans la face du show-biz toujours prompt à... hmm... gommer certaines imperfections pour rendre le produit plus attrayant. Ici, la vérité est aussi belle que la légende, car de légende il n'y a pas. Absolutely live, comme on dit.

N'y voyez pas un critère limite réactionnaire de ma part. Zappa a parfois largement trafiqué et mélangé enregistrements live et studio, mais volontairement, pour les besoins de l'oeuvre, et pour mon plus grand bonheur. Je ne suis pas facilement impressionné par l'exploit, quel qu'il soit. Je recherche la beauté. Que Van Morisson atteigne de tels sommets sans filets n'est même pas le fait de musiciens extraordinairement doués. C'est simplement le fait d'un musicien qui sait exactement ce qu'il veut, ce qu'il pense être bien, avec des musiciens pas loin sans doute de penser la même chose, pas manchots certes, mais qui respectent à la lettre l'idée de l'artiste, s'acharnent à faire le job du mieux qu'ils peuvent - sachant que Van se permet évidemment des digressions au gré de ses montées d'adrénaline, je leur dis chapeau bas - bref, c'est tout simplement de la belle ouvrage. Oserais-je dire, de l'expression artistique dans ce qu'elle a de plus noble ?

Pour sortir un disque aussi peu hype, en 1974, pour que des pupilles se dilatent encore 37 ans plus tard quand on évoque la chose, je me dis que je ne dois pas avoir tout à fait tord sur ce coup-là.

J'ai à peine cité un ou deux titres de l'album. Même pas la peine. Quand la chose sera dézippée sur votre bécane, vous pouvez cliquer sur n'importe lequel d'entre eux pour décider s'il par à la corbeille ou s'il rejoint votre trésor personnel sur un disque dur ou un CD. Aucun souci.

Mais j'imagine quelques réticences : big band, jazz, no rock, faut-il entendre que tout cela pourrait ne pas être physiquement jouissif, je veux dire par là pas autant qu'un Brown Sugar, un Whole Lotta Love ou je ne sais quoi ? Peste non. Commencez par la fin, Caravan, alors, si vraiment vous êtes  inquiets.

Si tout cela vous fait quelque peu penser aux Waterboys ou aux Dexy's Midnight Runner's, plutôt, c'est tout à fait normal. L'Irlandais a beaucoup souffert. Et le pire qu'on lui ait fait subir, c'est de leur coller définitivement une cornemuse au cul, telle une casserole, pour l'éternité. Les Irlandais, les celtes, sont un peuple de l'âme, de la soul. Je me rappellerai toujours d'une de mes plus belles soirées à Galway, à écouter ce petit groupe de rock du coin, dont la Guinness m'a fait oublier le nom mais pas la musique. Et pourtant, j'étais Rennais dans l'âme, et on ne nous la faisait pas comme ça. Sauf que là, il n'y avait pas le buzz des Transmusicales pour célébrer ces nouveaux talents. C'était juste un vendredi soir normal, à Galway. Remplis d'une putain de hargne aussi, et donc, même quand l'époque veut qu'on prenne les guitares comme des armes (Stiff Little Fingers, au hasard).

Non Bono, Chris Rea, je ne vous oublie pas. Les Irlandais sont aussi un peuple de soupe.

Let's dive into the mystic...

3 commentaires:

  1. Hello Jeepeedee,
    Qu'ajouter à ce long fleuve? En 1993, sur l'album "Too Long in exile", il s'est passé une petite chose extraordinaire que nous sommes peu nombreux à avoir noté : Van y reprend "Gloria" en compagnie de John Lee Hooker. Pour certains, ça n'aura l'air de presque rien, pourtant, c'était une façon magistrale de fermer une boucle immense et sublime...
    Jimmy

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  2. Merci pour cette revue aussi instructive que passionnée !

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  3. @Jimmy : Exact. Et le John Lee n'était pas prêt à jouer avec le premier blanc-bec venu, surtout pas à chanter une chanson du-dit blanc-bec...

    @Syl : de rien, avec plaisir.

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