J'ai acheté des CD depuis 1986 (et plein de vinyles avant), j'y ai mis énormément d'argent. J'en ai souvent racheté (remasterisations, bonus tracks...) et aujourd'hui tout ça ne vaut plus rien. Les rayons se vident au profit des DVD, des blu-ray disc (tout pour les yeux, rien pour les oreilles), en attendant le prochain format.

Et pourtant... c'était pas beau tout ça ?


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dimanche 23 septembre 2012

GCDBMDD # 4 : The Band "The Last Waltz" (longbox edition 4CD)



Thème du jour : Playtime
Faut qu'ça joue, man 

Ce fut sans doute l'un des concerts les plus tristes de l'histoire du rock. L'un des meilleurs, peut-être pas, l'un des meilleurs de The Band, peut-être. Il y a tellement d'émotion et de feeling dans l'interprétation de leurs grands classiques (tous présents ou presque dans cette "intégrale" du concert, manque juste King Harvest (has surely come) s'il fallait glauser), chacun savait qu'ils les jouaient pour la dernière fois. Tous étaient émus, tristes, nostalgiques et voulaient en profiter encore une fois, encore... sauf cette andouille prétentieuse de Robbie Robertson qui avait saboté le groupe.

Môssieur Robertson avait des ambitions cinématographiques, à force de traîner à L.A. (notamment avec Martin Scorcese qui réalisera le film du même nom, superbe soit dit en passant). Môssieur Robertson l'avait déjà fait savoir dans l'album Cahoots ou il tentait de réviser son songwriting (comme on dit chez les Inrockuptibles) dans cette optique.

Assurément l'album le plus nul du groupe. Toc.

Suite à quoi, Môssieur Robertson tenta l'album de reprises, avec notamment celle de The Third Man (le cinéma, encore), et dut admettre, mais un peu tard, dans Northern Lights/Southern Cross qu'il était limité par une marque de fabrique, une façon d'envoyer les chansons. Ce qu'on pourrait qualifier de style, si l'on voulait l'honorer, mais Môssieur Robertson fut du coup convaincu que ses paysans d'acolytes lui barraient la route vers de meilleures destinées.

Et les autres, ne vivaient que par la musique, pour la musique (et leur facilité à accompagner tout le monde ce soir-là le prouve aisément).

Péquenots.

Si lui, Môssieur Robertson n'avait pas rencontré Dylan en 1965, ils seraient encore à faire le tour des bars à putes au fin fond du Canada.

Et peut-être auraient-ils été plus heureux que ce soir de 1976, au Winterland, ou Levon Helm dut faire appel au chantage ("Muddy Waters joue ce soir ou alors je pars avec lui à New-York et tu te démerdes avec ta dernière valse !"), tout ça parce que Môssieur Robertson aurait voulu laisser plus de place à cette andouille de Neil Diamond, dont il venait de produire un album (Beautiful Noise), lui apportant une caution "rock" et un Martini assuré dans toutes les piscines de Mullholland Drive.

Muddy Waters joua, finalement. Et magistralement. Comme tant d'autres ici (la version du Caravan de Van Morrison est dantesque et mémorable), et c'est pourquoi malgré toute cette puanteur cadavérique marketing tournant autour du projet, je vous propose ce disque. Pour un Neil Young cocaïné jusqu'à la moëlle délivrant un Four Strong Winds (des Canadiens, respect, Ian & Sylvia, et Ian Tyson était dans la salle, merci pour lui, Neil) et un Helpless émouvants au possible (Joni Mitchell assurant les choeurs backstage sur Helpless) . Pour un Dylan taquin et retors (refusant de se faire filmer cinq minutes avant d'entrer en scène pour ne pas nuire au succès de son son navet cinématographique Renaldo & Clara, faisant du coup faire pipi dans sa culotte à Môssieur Robertson mais démarrant - et terminant - son set par la version électrique de Baby Let Me Follow You Down façon 1966 et idem rejouant I Don't Believe You dans le même esprit, Robbie Robertson oubliant un instant son ego devant le Maître et lâchant des soli démoniaques, Garth Hudson toujours prêt à enrober le tout), pour la version dantesque de It Makes No Difference chanté par le merveilleux Rick Danko avec une émotion incroyable dans la voix, pour Clapton dont la sangle de guitare lâche en plein solo et qui continue, morbleu, parce qu'on va pas s'arrêter pour autant, etc. etc.

Je dois donc avouer que Robbie Robertson joue diablement efficace, tendu, nerveux et concis comme jamais - ou comme toujours, et qu'on a eu la bonne idée de débrancher son micro afin qu'il ne gâche pas tout en couinant dedans.

Alors en résumé, du début à la fin (je mets juste un bémol sur l'intervention de Neil Diamond), oui, putain, ça joue, man ! Avec ses tendus (Van Morrison, Ronnie Hawkins...) et ses déliés (Joni Mitchell, Neil Young...). Et les cuivres d'Allain Toussaint sont là aussi, comme au bon et déjà vieux temps de Rock Of Ages ! Et je vous passe les invités Deluxe dont on n'a rien à faire (Ringo Starr, Ron Wood, Steven Stills... dont on espère qu'ils auront apprécié les petits fours). Et même si le 4ème CD (sessions studios pour d'idiots vidéo-clips insérés dans le film, répétitions et maquettes) est largement dispensable (hormis, peut-être The Weight avec les inoubliables Staples Singers, gospell à souhait, mais encore...), le reste vaut son pesant de sirop d'érable et de whisky moonshine.

Au jour d'aujourd'hui, l'autre andouille (vous avez compris de qui je parle) et le fêlé Garth Hudson (organiste dantesque, fou des claviers) sont les deux seuls survivants : Richard Manuel, suicidé, Rick Danko, infarctus, Levon Helm, cancer. Je ne suis pas un spécialiste de la statistique médicale, mais, au moins pour les deux premiers, la fin de The Band, malgré des reformations sans l'autre idiot malheureusement talentueux, précipita les choses.

Et que dire du film, dans ces instants où Scorcese interviewe le groupe : Et qu'allez vous faire maintenant ? Regards vagues, fuyants de Richard Manuel... silences... Rick Danko tripottant une table de mixage, semblant croire à la promesse de cet enc... de qui vous savez comme quoi le groupe continuerait d'une autre manière... La mort du cygne, en direct. Le succès, la gloire, dit-on, ne dure qu'un temps.

Thank you very much... Good Night... Goodbye...

Pour The Band, cela aura duré au moins trois temps. Les trois temps de la valse.

Au premier temps de la valse...

Au deuxième temps de la valse...

Au troisième temps de la valse...

Une valse à quatre temps ?

10 commentaires:

  1. Ca joue mais est-ce qu'un concert si triste (comme tu le dis) est vraiment joueur ? hummm...
    Légendaire quoiqu'il en soit.

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  2. Un sacré concert, quoiqu'il en soit...
    Curieux le hasard des choses, j'écoutais hier dans la voiture l'album de Robbie Robertson avec Katché et Peter Gabriel en back vocaux...
    Je ne vais pas essayer de te convaincre, mais pourtant quand je l'ai mis dans la platine de la voiture alors que je ramenais des élèves après une longue journée de répétition, le jeune bassiste qui était à coté de moi m'a dit, en montant le son : "'tain, ça joue là, c'est qui ?" et j'ai lancé le jeu...
    "le premier qui me trouve le batteur gagne... toute ma considération"... et derrière, le guitariste en moins de 15 secondes a dit : "Ce serait pas Manu Katché ? les breaks et ce son sur... quasi sur"...
    Ah il avait gagné le bougre...
    Comme quoi ces jeunes, z'ont encore des valeurs...
    Je suis sur qu'aujourd'hui y'en a un qui va me demander de lui prêter...
    Alors, Robertson, ou pas, avec ces histoires effectivement véridiques et ce concert effectivement historico-déplorable...
    Ça joue...
    Et si ça amène des jeunes à des valeurs musicales (pour celles ici humaines, ils verront plus tard...) réelles... Je dis, peu importe, après tout.
    Excellente chronique, quoiqu'il en soit et personnellement, même si j'ai écouté cet album et vu le film étant jeune, me replonger dedans sera un plaisir avec malheureusement comme une lointaine piqure de rappel...

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  3. Hello.
    Tiens c'est marrant moi non plus j'aime pas Robertson mais sans savoir pourquoi.
    Ca arrive...
    Le film me gênait par son côté souvent trop lisse pour un "concert filmé", mais la BO est imparable.
    Hé, t'aurais pas oublié "Such A Night" dans les moments forts?
    EWG

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  4. Pas réécouté depuis l'époque ou je fuyais le Band, ou Dylan et consorts ne me donnaient aucune émotion (sans doute une période rock prog, ou krautrock). Depuis je te rassures je me suis soigné, adore le "Zim" alors prêt pour l'écoute attentive.

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  5. Ca joue une dernière fois, mail de quelle manière...

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  6. Tu vois quand tu veux! Je n'avais pas cette édition. Mille mercis,
    Jimmy
    P.S. : triste, mais beau, mais triste, mais...

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  7. Triste c'est sûr!.... Triste comme une histoire qui se termine, comme une époque qu'on sait révolue, triste à pleurer.....mais tellement beau!
    Dans son roman autobiographique " Ringolevio", Emmett Grogan raconte briévement, bien trop brièvement à mon goût mais ce n'était pas le sujet principal du bouquin, son séjour chez Dylan à Woodstock à l'automne 1968 et il à cette phrase simple et définitive sur The Band :" Et puis il y avait l'Orchestre, rejouant les morceaux de leur premier album qui allait dévoiler à tout le monde un secret bien gardé, à savoir que ces musiciens là étaient les meilleurs. Leur musique apprit à Emmett qu'un véritable réussite est toujours longue à venir; et que San Francisco n'était pas la seule ville ou il se passait quelque chose."
    Echiré79

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  8. Arff, j'ai toujours été hermétique à ce truc. Et depuis 1977 les triple albums live sont strictement interdits, celui-ci est passé de justesse.

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  9. Bien raconté, je suis ou j'étais comme Till, beaucoup des invités je les aime (qu'est ce que c'est que cette phrase bancale!!) mais the BAND pas poue eux. Ceci dit, ton enthousiasme et cette superbe chronique + CARAVAN avec Van Morisson que j'ai tenté vont me faire changer lentement d'avis...

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  10. Bon j'ai fait l'effort de l'effort, mais cela reste un effort. De ce mille feuille je retire toujours les mêmes et m'ennuie pendant les autres ... définitivement (peut on seulement penser cela en musique) pas pour moi. Désolé.

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